Leurs relations avec nous
Nous arrivons enfin à la question qui nous importe le plus, celle des relations que soutiennent les anges avec l’humanité. Une analogie historique jettera peut-être quelque jour sur cette question délicate. Jusqu’à la venue de Jésus-Christ, il semblait que le peuple d’Israël fût séparé par un mur d’airain de toutes les autres nations. Les Grecs et les romains occupaient le devant de la scène ; Israël, dans sa position reculée et isolée, paraissait ne soutenir aucune relation avec ces grands acteurs de l’histoire. Cependant une étude plus approfondie fait voir que le développement du peuple de Dieu marchait, sur une foule de points, de pair avec celui des autres nations. L’histoire a progressé simultanément avec l’influence de cette nation unique, jusqu’à ce qu’enfin arriva le moment où, la barrière tombant, les deux courants, juif et païen, se réunirent. C’est dans l’église que s’opéra cette jonction, terme de l’histoire ancienne. Ce résultat était voulu, prédit. Dès le commencement, Dieu visait à la réalisation de l’unité du genre humain par l’Evangile.
Il y a une unité plus vaste que celle du genre humain, unité non moins positivement voulue de Dieu ; c’est celle de tous les êtres dont se compose l’univers moral, le royaume des cieux dans sa plus grande extension. Comme Dieu a préparé dans l’ancien monde la fusion des Juifs et des Gentils, dont la réalisation date de la venue de Jésus-Christ, durant toute l’économie actuelle il prépare une réunion supérieure et plus riche encore, celle des anges et des hommes, que consommera la réapparition glorieuse du même Jésus-Christ.
Il suffit d’ouvrir les yeux pour constater les rapports qui unissent le développement de notre race à celui des êtres dont nous nous occupons, rapports qui font rentrer notre histoire humaine dans un plus vaste tout, dans la grande histoire de l’univers. La tentation et la chute du premier homme sont les premiers faits qui révèlent la relation existant entre les deux sphères. La création même de l’humanité ne paraît pas être sans rapport avec l’existence des anges. Si d’un côté Satan était, dans son état originaire, le monarque auquel Dieu avait confié le gouvernement de cette terre ; si de l’autre Dieu a réellement dit à l’homme, au moment de sa création : Domine sur la terre et sur tout ce qu’elle renferme, il n’y a qu’une conclusion à tirer de ce double fait : c’est que Dieu a voulu substituer l’homme à Satan, comme dominateur du monde; c’est qu’en le créant il a suscité à cet archange déchu un rival.
Satan était un vassal révolté; Dieu a donné son domaine à l’homme. Mais celui-ci a été appelé à en faire lui-même la conquête ; et il doit remplir cette mission, non par la supériorité de la force, mais par celle de l’obéissance. Nous comprenons, à ce point de vue, l’empressement avec lequel Satan a travaillé dès la première heure à détourner l’homme de la soumission et à l’entraîner dans sa révolte. Quoi de plus intéressant pour un rebelle que de faire volte-face à l’armée mise sur pied pour le réduire, et de la conduire au combat contre celui-là même qui l’avait levée contre lui !
Mais que peuvent les ruses, les victoires mêmes de Satan conte les plans de la souveraine sagesse? La défection de l’humanité, ce chef-d’œuvre de l’habilité diabolique, a fait ressortir d’une manière plus éclatante la beauté du plan de Dieu.
Par le fait du péché de l’homme, Satan est demeuré, sans doute, le maître de cette terre ; il a même gagné un agent de plus. Celui qui devait lui enlever son empire, est devenu son allié, son esclave ; et quelles flétrissures n’a-t-il pas infligées à son malheureux captif ? De quelles pesantes chaînes ne l’a-t-il pas chargé ? L’idolâtrie avec ses honteuses pratiques, la guerre avec ses sanglantes horreurs, la mort avec ses inexprimables angoisses, le péché surtout avec ses turpitudes et ses remords, voilà les monuments du pouvoir de Satan sur l’humanité, les trophées de sa victoire sur notre terre.
Que fait Dieu ? Ecrase-t-il dans sa fureur son adversaire et le nôtre ? Ce ne serait pas l’avoir vaincu. Pour vaincre, dans une lutte comme celle-ci, il faut confondre, et confondre c’est se montrer non le plus fort, mais le meilleur.
Voyez-vous cet humble enfant couché dans une crèche ? Voilà le champion nouveau que Dieu se choisit et avec lequel il marche au-devant du prince de ce monde. Satan, créature, avait aspiré à l’autonomie et à la gloire d’un Dieu ; Dieu détache de lui-même un être mystérieux, un autre lui-même, qui, se dépouillant volontairement de l’état divin, se réduit à la dépendance et à l’infirmité de la créature. L’archange s’était fait Dieu ; le Fils de Dieu devient homme ; le Verbe se fait chair. Sous la forme de la vie humaine la plus humble, il réalise cette soumission absolue à Dieu à laquelle s’étaient refusés et l’archange et le premier homme. Satan sent cette fois dans l’humanité un point qui résiste ; il accourt. Il comprend que son pouvoir est menacé.
Comme il l’avait emporté autrefois en Eden, dans le jardin de l’abondance, il espère vaincre maintenant au désert, au moyen de la privation. Mais son calcul est déjoué ; il a rencontré son vainqueur. Jésus demeure ferme, malgré toutes ses suggestions et ses offres ; il persiste à s’en rapporter uniquement à Dieu; à Dieu, pour la conservation de son existence physique ; à Dieu, pour les moyens d’établir son règne ici- bas ; à Dieu, pour l’heure où il devra faire ses miracles. Toute la suite de son ministère n’est que la confirmation de cette dépendance sans réserve dont il a ainsi fait vœu au désert. Et après qu’il a consommé son œuvre expiatoire et réparatrice, il est couronné et installé comme le nouveau souverain de la terre. C’est le vrai changement de dynastie ici-bas ; le monde passe à un autre maître. ( Jean.12.31 ) Satan est destitué; et sa souveraineté transmise à Jésus-Christ. Jésus la transmet à son tour à l’humanité, sa famille au nom de laquelle il a lutté, obéi, vaincu.
Une telle transmission est possible; car en vertu de la solidarité de l’espèce, qui est le caractère de l’humanité et qui la distingue des anges, l’humanité peut être sauvée tout entière en un. Un tel mode de salut ne serait pas applicable aux anges déchus ; car ils ne sont que des individus, sans existence collective. Aussi est-il dit que Christ n’a pas pris les anges, mais la postérité d’Abraham. ( Hébreux.2.16 ) Dès ce moment Satan et son cortège luttent en désespérés contre ce nouveau pouvoir qui travaille patiemment à se substituer au leur. Des lieux célestes, de ces régions supérieures où ils résident encore et où ils exercent leur influence, ils cherchent à entraver l’évangile et sa course à travers le monde. Mais Christ a eu l’habileté de faire de sa cause une seule et même cause avec celle de Dieu. Là est la garantie de sa victoire. Le trône de l’adversaire s’abaisse graduellement à mesure que s’élève ici-bas le sien. Le terme de ce double mouvement est aisé à prévoir. Quelle part prennent les saints anges à cette œuvre de Dieu au sein de l’humanité? Ils y jouent un rôle à la fois contemplatif et actif. Ils avaient salué par des acclamations joyeuses la création de l’humanité. Ce fut, dit Job, «au milieu des chants de triomphe des f ils de Dieu et des cris de joie des étoiles du matin», que l’homme f it son apparition sur la terre. Plus tard, ils furent les aides et les serviteurs des prophètes, dont le ministère et les visions préparèrent la venue du Sauveur. Aussitôt que Jésus paru, ils l’environnèrent, semblables à une troupe de messagers dévoués, montant et descendant à ses ordres, instruments de l’intervention divine dans le monde physique, comme le Saint-Esprit l’est dans la sphère supérieure de l’œuvre du salut. A l’heure où se consomma le sacrifice éternel, ils se penchaient sur cet abîme et cherchaient à le sonder. Enfin les premiers ils publièrent la résurrection, comme les premiers ils avaient annoncé la naissance.
Depuis la fondation de l’église leur regard reste attaché sur ce chef-d’œuvre de l’amour divin. Ils y contemplent avec adoration une œuvre supérieure à celle de la nature, une création plus glorieuse et plus durable que celle des six jours. La sagesse de Dieu , dit Saint-Paul, dans sa diversité infinie, se dévoile dans l’Eglise aux principautés et aux puissances qui sont dans les lieux célestes. ( Ephésiens.3.10 ) Sur ce théâtre nouveau les anges contemplent avec adoration et avec extase les voies multiples par lesquelles le Père amène au Fils le cœur des pécheurs et sauve ce qui était perdu. Et il a une fête parmi eux chaque fois qu’un sourire ineffable, passant sur la face du Père, leur annonce qu’un de ces enfants qui était mort a été ramené à la vie.
C’est ainsi qu’en contemplant, ils apprennent, ils progressent, ils se réjouissent, ils pleurent, tantôt de joie, tantôt de douleur. Mais ils font plus. Comme ils ont été acteurs dans l’histoire du Maître, ils le sont aussi dans celle de l’Eglise. Ce sont, est-il dit, des esprits serviteurs que Dieu envoie pour secourir à propos les héritiers du salut. ( Hébreux.1.14 ) Les plus grands d’entre eux ne dédaignent pas de se tenir plus particulièrement auprès des plus faibles et des plus petits d’entre les fidèles. ( Matthieu.18.10 ) C’est ce que Jésus lui-même nous déclare, sans que nous ayons cependant le droit d’inférer de cette parole que chaque être humain ait un ange qui lui soit personnellement attaché.
Mais à quoi bon, demanderez-vous, cette assistance des anges ? Dieu ne pourrait-il pas nous assister par sa providence et par sa toute- puissance sans recourir à ces auxiliaires créés ? Il le pourrait assurément ; mais, pour être conséquent, demandez aussi pourquoi l’enfant qui naît trouve en entrant dans la vie des mains pleines de tendresse qui le comblent de soins? Dieu ne pourrait-il pas l’emmailloter, le nourrir lui-même par sa puissance ? Demandez encore pourquoi, dans ce danger que vous avez couru, Dieu vous a sauvé la vie par le moyen d’un de vos frères, au lieu de le faire de sa propre main ? C’est que Dieu ne veut pas que le lien si doux qui unit éternellement l’obligé à son bienfaiteur n’existe qu’entre lui et nous. Dieu aime assez pour ne pas vouloir aimer et être aimé seul. Il estime trop l’amour, qui est son essence, pour ne pas travailler par tous les moyens à le multiplier entre tous les êtres qu’il a créés, aussi bien qu’entre lui et eux. C’est là le but de toutes ses voies, celui de ses abstentions aussi bien que de ses opérations. L’amour de lui pour tous, de tous pour lui, de tous pour tous, voilà ce qui fait la splendeur de son règne. Et voilà pourquoi il veut que nous nous entraidions les uns les autres, et que cette relation d’assistance mutuelle existe même entre les anges et les hommes. Il prépare ainsi le moment où ces deux races, plus différentes encore que les Juifs et les Gentils, s’uniront étroitement dans son règne et ne formeront qu’un même corps.
Enfin, au terme de l’histoire, cette relation entre les hommes et les anges, contractée dès la création et resserrée pendant tout le cours de leur développement, sera scellée par un fait suprême. D’une part les hommes jugeront les anges, dit Saint-Paul, les hommes sanctifiés les anges rebelles. ( 1Corinthiens.6.3 ) De l’autre les anges trieront dans l’humanité l’ivraie et le bon grain, recueillant le second, brûlant la première : c’est ce n’affirme Jésus. ( Matthieu.12.39 )
Et après que chacune de ces deux classes d’êtres aura ainsi rendu hommage à la sainteté divine au sein de l’autre, le terme des voies de Dieu envers toutes deux se réalisera. Le Dieu qui a résolu de rassembler toutes choses en Christ, tant celles qui sont aux cieux que celles qui sont sur la terre, ( Colossiens.1.20; Ephésiens.1.10 ), réunira les hommes et les anges sous ce Chef unique.
Et comme les deux grands courants du monde ancien, les Juifs et les païens, après des rapprochements successifs, se sont enfin unis dans l’Eglise, ainsi les deux grandes classes d’êtres dont se compose l’univers moral, les hommes et les anges, à la suite de longs et bienveillants rapports, se soumettront au sceptre de JésusChrist, le Créateur des anges, le Créateur et le Sauveur des hommes, le Seigneur de tous.
Il nous paraît donc impossible d’écarter comme un point de nulle importance la croyance à l’existence et à l’activité des anges. Nous sommes conduits à cette foi par les inductions de la nature, par les analogies de l’histoire, et par les enseignements scripturaires. Et qui ne sentirait combien à ce point de vue s’étend pour nous le domaine de l’œuvre divine et s’élargit la sphère de la lumière ? De même que la vue du ciel étoilé agrandit infiniment notre conception de l’univers physique, de même la foi à l’existence des anges donne le caractère de l’infini à l’idée que nous nous faisons du royaume de Dieu. Comment ne pas sentir en même temps combien cette croyance est propre à rendre plus vif notre effroi, plus profonde notre horreur du mal ? Elle nous fait discerner dans chaque tentation un piège tendu par un ennemi mortel, dans chaque péché une complicité non seulement criminelle, mais insensée, avec un être odieux et malfaisant. Ne comprendrions-nous pas enfin combien cette croyance concourt à exalter la personne de notre Rédempteur et à rehausser son œuvre ? Il n’est pas seulement le chef des hommes qu’il a sauvés par ses douleurs; il est aussi celui des anges auxquels il a donné l’existence et que du sein de sa gloire il conduit à la perfection.
Ce fut un duo magnifique que celui qui retentit au sein de l’Eglise lorsque pour la première fois les croyants d’entre les Juifs et les convertis d’entre les païens mêlèrent leurs voix pour entonner le cantique nouveau, l’hymne du salut. Ils célébraient, les uns et les autres, les choses merveilleuses de Dieu mais chacun à sa manière ; les premiers louant surtout sa fidélité dans l’accomplissement de toutes les promesses faites à leurs pères ; les seconds publiant sa miséricorde envers les peuples à qui il n’avait rien promis, et qui, malgré leur complète indignité, avaient pourtant tout reçu. ( Romains.15.8-9 ) Il sera plus riche et plus sublime encore cet hymne à deux voix, qu’entonneront ensemble les anges élus et les hommes glorifiés célébrant de concert œuvre de Dieu, mais sur des tons différents ; les uns, de cette voix sonore dont rien n’a jamais altéré l’éclat, publiant la fidélité du Très-Haut qui couronne magnifiquement l’humble et persévérante soumission à sa volonté ; les autres, sur un ton plus grave et avec un accent plus contenu, comme il convient à des êtres dont le chant est né dans les larmes, glorif iant sa grâce qui efface l’infidélité et pardonne la révolte ; ceux-là nous montrant à nous, hommes, dans leur exemple, l’échelle lumineuse sur laquelle on peut s’élever jusqu’à Dieu sans jamais sortir du bien ; atteindre la perfection, non sans l’épreuve, mais sans la chute ; réaliser le progrès au sein de l’innocence ; glorifiant ainsi la sainteté et la véracité de ce Dieu qui ne permet pas que le péché puisse jamais être envisagé comme nécessaire ou même comme utile en soi ; et de l’autre côté, nous hommes, leur répondant en leur montrant, avec une humiliation profonde, les sombres abîmes du péché où nous nous étions précipités, mais dont la main de Dieu nous a retirés par des prodiges sans pareils ; glorifiant ainsi à leurs yeux cette grâce qui surabonde là où le péché a abondé et qui, en changeant le mal même en bien, accomplit le miracle des miracles. Du sein des deux peuples qui n’en formeront plus qu’un, s’élèvera alors, sur des tons divers, cet hymne commun, dernier mot de l’histoire des êtres libres, dont le chant des anges et des bergers dans la nuit de Noël fut le prélude : « Gloire à Dieu et à l’Agneau qui est assis sur le trône ! Alléluia ! »

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